De nos jours, le « polar », est un synonyme de littérature facile, voire industrielle. Pourtant, c’est un délassement répandu, même chez des intellectuels, voire un jeu d’esprit. Des grands de la littérature s’y sont essayés : Bernanos, Borges, Robbe-Grillet, Claude Aveline. Et Simenon est entré dans la Pléiade…
Une définition ? « Un crime mystérieux, graduellement éclairci par les raisonnements et les recherches d’un policier. » (Régis Messac, 1929)
Difficile de le définir : faut-il un meurtre ? un policier ? une enquête ? À chacun de ces caractères, on peut apporter des contre-exemples…
Le genre du roman policier tel que nous l’entendons est né au XIXe siècle. Après un bref historique du genre nous étudierons sa construction et différents éléments de la thématique.
I - BREF HISTORIQUE DU ROMAN POLICIER
A. d’Œdipe au XVIIIe siècle
Pour sauver Thèbes de l’épidémie, le roi Œdipe doit punir les auteurs d’un crime passé : qui a tué jadis le roi Laïos ? Le roi conduit cette enquête et finit par découvrir que le criminel, c’est lui-même (Sophocle) ;
Le trésor de Rhampsinite (Hérodote II, 121 : chambre close, horreur, un brin de porno…) ;
Daniel, 13 (la chaste Suzanne) et 14 (confondre les prêtres de Bel) ;
Le juge chinois Ti, (VIIe s.) ressuscité par le diplomate hollandais Robert van Gulik ;
La Fontaine (Le Lion malade et le Renard, livre VI).
L’analyse des indices dans le Zadig de Voltaire (1748, chap. 3) : on recherche la chienne de la reine et le cheval du roi, et Zadig décrit parfaitement les animaux mais dit qu'il ne les a point vus : il est accusé de les avoir volés ! Il explique qu'il avait deviné leur apparence par les traces qu'ils avaient laissées. On admire son génie mais il est victime de la justice.
B. Du romantisme aux pionniers
Le moment historique :
La naissance de la ville et de l’industrialisation, du fait divers : incendie, accident ou… crime : l’auberge de Peyrebeille (1831, cf L’auberge rouge), l’affaire Lafarge (1840) ; la fascination du poète–assassin Lacenaire (Cf Les enfants du Paradis).
Et la naissance de la police : le ministre Fouché, et le fameux Vidocq (1828), qui inspira le Vautrin de Balzac (Le Père Goriot, 1842) et le Javert des Misérables (1862) ;
L’épanouissement du positivisme et du déterminisme ; les débuts de la médecine légale et de la police scientifique : Bertillon et l’anthropométrie.
Le moment littéraire :
Le mélodrame et le roman gothique et d’horreur : Les mystères d’Udolphe d’Ann Radcliffe (1797) ; Frankenstein de Mary Shelley (1816) : sabbats, orages, cryptes, cimetière, ruines, femmes fatales, anges déchus, jusque vers 1825 ; Eugène Sue (Les mystères de Paris, 1842-1843).
Edgar Allan Poe (1809-1849) (Dupin) : Double assassinat dans la rue Morgue ; Le mystère de Marie Roget, La lettre volée.
Émile Gaboriau (1832-1873) (M. Lecoq) L’Affaire Lerouge ;
Arthur Conan Doyle (1859-1930) (Sherlock Holmes, 56 nouvelles 4 romans) : La ligue des rouquins, Une affaire d’identité, La lèvre tordue, L’escarboucle bleue, Le ruban moucheté, Le pouce de l’ingénieur, Le traité naval, Les 6 Napoléons, Le Bruce-Partington…
Les auteurs français
Gaston Leroux (1868-1927) (Rouletabille et Le mystère de chambre jaune)
Maurice Leblanc (1864-1941) (Arsène Lupin 1905) ;
C. L’entre-deux-guerres
Agatha Christie (1890-1976) (Hercule Poirot et miss Marple) : 59 romans policiers, 190 nouvelles, l’auteur le plus traduit : 2 milliards d’exemplaires vendus. Nous reviendrons plus loin sur le « roman-problème ».
franc-tireur G. K. Chesterton (1874-1936) [le père Brown]
Les collections : L’Empreinte, Le Limier, La Chouette, surtout Le masque par Albert Pigasse (1887-1985, 2540 n°)(le célèbre logo), n° 1 Roger Ackroyd (1927) ;
Du côté des francophones
Stanislas-André Steeman (1908-1970) (M. Wens), Six hommes morts (1931) ;
Georges Simenon (1903-1989 Maigret apparu en 1931) ; 75 romans, 28 nouvelles, et 187 films : Maigret s’imprègne de l’atmosphère, surtout en province.
D De l’influence américaine à l’époque contemporaine
le roman noir à l’américaine : Dashiell Hammett, Raymond Chandler [Ph. Marlowe], Peter Cheyney 1896-1951 [Lemmy Caution], James Cain (Le facteur sonne toujours deux fois, 1934) James Hadley Chase (Pas d’orchidées pour miss Blandish, 1939).
La collection Série Noire fondée en 1945 par Marcel Duhamel (1900-1977 : plus de 2900 n°) : des corrompus, de l’action, une langue verte, de l’humour, pas de happy end ;
Léo Malet représente le « roman noir à la française » (1909-1996) vogue relayée par le dessin de Tardi), et son personnage, anarchiste et surréaliste : Nestor Burma (les nouveaux mystères de Paris 15 volumes parus sur 20) ; « Comme chez Simenon, l’atmosphère l’emporte sur l’histoire »
Albert Simonin (1905-1980) : Touchez pas au grisbi
Le roman d’espionnage, inauguré avant-guerre par Pierre Nord (1900-1985 : Double crime sur la ligne Maginot, 1936).
Le roman de suspense, préparé par John Buchan (1875-1940 : Les trente-neuf marches : l’ancêtre de Graham Greene et John Le Carré), Francis Iles (1893-1971) : Before the Fact = Préméditation (1932).
Patricia Highsmith (1921-1995, L’inconnu du Nord-Express) et son héros M. Ripley ; W. Irish (1903-1968, Fenêtre sur cour, La mariée était en noir).
En France le tandem Boileau-Narcejac ; (B 1906-1989 ; N 1908-1998) Les Louves, Celle qui n’était plus, D’entre les morts (Sueurs froides), également nouvellistes, critiques et pasticheurs (Usurpation d’identité) ;
suivis par Sébastien Japrisot (JB Rossi) (1931-2003) L’été meurtrier, Piège pour Cendrillon, La dame dans l’auto avec des lunettes et un fusil.
Pour finir, un inclassable : San Antonio dû à Frédéric Dard (1921-2000, 175 vol. 1949-2001) : désinvolture et humour, truculence du verbe (néologismes, calembours, catachrèse, contrepèteries…) et le gros Bérurier : l’auteur Frédéric Dard disparaît derrière son personnage de San Antonio.
II - CONSTRUCTION ET GENRES DES ROMANS POLICIERS
A. Les modes d’écriture et de présentation
Les différents modes d’exposition : un récit extérieur objectif (Agatha Christie) parfois enrichi d’une dimension introspective (Simenon) ; un récit fait par un témoin, auquel le lecteur peut s’identifier (Watson) ; voire par le criminel lui-même (Ackroyd).
L’auteur qui écrit un roman policier part de la solution et remonte aux indices : il le construit à l’envers, avant de commencer à l’écrire, l’inverse de la démarche que suivront lecteur et détective.
Le détective du roman raisonne, mais le roman policier se doit d’être court : plutôt que les longs romans feuilletons de 1500 ou 2000 pages au XIXe s., ce sont des romans brefs où un même personnage fait l’unité d’un volume à l’autre : le héros récurrent (Lecoq, Holmes, Fantômas, Rouletabille, Poirot, Coplan, SAS, etc.) ; de là aussi le succès de la forme de la nouvelle, très fréquente : chez Conan Doyle, elles sont, à mon sens, infiniment supérieures à ses romans ;
B. Le roman d’énigme
C’est un genre à lui seul : la murder-party, très anglaise, comme le jeu du Cluedo. Agatha Christie est l’auteur le plus connu.
Agatha Christie avait des connaissances en toxicologie (infirmière pendant la guerre) : un nombre réduit de personnages, 6 ou 8 tout au plus, dans un lieu clos (un manoir, une île, ou bien un train, un navire), les suspects défilent, chacun garde ses secrets et ses petits mensonges avant la révélation finale.
Au lecteur de noter au passage les indices, et de raisonner. Le roman d’énigme peut tourner au jeu intellectuel, à un match entre l’auteur et son lecteur… selon des règles :
Les « règles » de Van Dine publiées dans American Magazine, 3/9/1928
1. Les chances doivent être égales entre le lecteur et le détective ;
2. Pas d’autres tricheries que celles du criminel vis-à-vis du détective ;
3. Pas d’intrigue amoureuse pour venir troubler la logique ;
4. Le détective ne doit pas se révéler le coupable ;
5. Le coupable doit être trouvé par déduction logique et non par hasard ;
6. Il doit y avoir un détective qui cherche et trouve grâce aux indices ;
7. Il faut au moins un cadavre pour que l’histoire en vaille la peine ;
8. On renonce à la télépathie, aux esprits, à la boule de cristal…
9. Il doit y avoir un seul détective pour concentrer l’intérêt ;
10. Le coupable doit avoir été un des personnages notables de l’histoire ;
11. Le coupable ne saurait être un domestique, un laquais, une bonne… ;
12. Même avec plusieurs meurtres, il doit y avoir un seul coupable ;
13. Pas de société secrète ou autre mafia…
14. Meurtre comme détection recourent seulement à des moyens rationnels ;
15. Une fois connue, la solution doit apparaître évidente et simple ;
16. Pas de longues descriptions ni d’analyses psychologiques ;
17. Le criminel ne doit pas être un professionnel du crime ;
18. Le meurtre ne doit pas se révéler un accident ou un suicide ;
19. Les motifs doivent être personnels, et non pas politiques ;
20. Pas de clichés éculés comme le mégot révélateur, la séance spirite bidon, les fausses empreintes digitales, le chien qui n’aboie pas ; le jumeau ou le sosie ; la lettre codée qu’on déchiffre, etc.
Quel carcan ! Pourtant les meilleurs auteurs ont su à l’occasion s’affranchir de ces « règles » : Agatha Christie avec Le meurtre de Roger Ackroyd). Cf un essai passionnant Qui a tué Roger Ackroyd ? par Pierre Bayard, 1998 : et si Hercule Poirot s’est trompé ?).
Bien des auteurs — et lecteurs — ont considéré le roman-problème comme la forme définitive du roman policier. Tout en appréciant la construction des intrigues, Boileau-Narcejac soulignent que le monde d’Agatha Christie est suranné, voire ennuyeux avec ses secrets de famille, ses douairières et leur testament, leurs colonels fatigués…
C. Les problèmes de chambre close
Un crime inexplicable semble avoir été commis dans un lieu fermé de l’intérieur : la victime n’est pas morte quand on le croit, ou l’assassin a pu s’échapper après le crime, il a tué de l’extérieur sans laisser de traces, etc.
Le maître est John Dickson Carr (1906-1977) : il est astucieux, trop même, jusqu’à en devenir invraisemblable, absurde, voire stérile… Il ne peut se passer de pathétique : ne le trouvant plus dans l’action, il le plaque à partir d’un décor étonnant ou baroque, frôlant le fantastique.
Et pourtant la chambre close n’est pas morte : voir les romans de Paul Halter (né en 1956), les anthologies de Roland Lacourbe.
D. Le roman d’espionnage
De haute tenue avec John Le Carré, mais aussi de production courante avec les collections du Fleuve Noir et les couvertures réalistes du dessinateur Michel Gourdon jusqu’en 1978 : Paul Kenny,, Cl. Rank, OSS 117 de Jean Bruce, SAS de G. de Villiers…). Ce sont les délices des agents doubles, voire triples…, de la belle espionne qui ne trahit pas, mais fait semblant de trahir — alors que, peut-être, en fait, elle trahit quand même !
Du patriotisme militaire (P. Nord), on est passé au vertige des enjeux géopolitiques de la guerre froide. L’espion n’est pas un criminel, il remplit une mission ; s’il tue, c’est sur ordre, dans un monde différent du quotidien. Action et violence : voilà de l’évasion !
III - LES PERSONNAGES DU ROMAN POLICIER
Ils sont quatre : le détective, le criminel, la victime, le justicier.
A. Le détective
Les Anglo-Saxons ont privilégié la figure du détective, les Français celle du policier, le 1er plus intellectuel, le 2e plus pratique, voire quotidien.
Les mythes : Holmes, Poirot, Marlowe, Maigret
Homme d’action (Holmes est un lutteur habil) ou arm-chair detective (miss Marple), détective privé, mais aussi policier, vieille demoiselle, voire prêtre ou curé de campagne (l’abbé Garrec de René Madec)…
« J’avoue avoir pris dans les aventures de Sh. Holmes l’idée première de recherches sur les poussières des vêtements et des taches de boue, et je sais ne pas être le seul à avoir trouvé dans ces romans des idées neuves et des inspirations utiles. […] Sherlock n’est pas plus intelligent que Dupin, mais il connaît bien mieux son métier. Son cerveau contient, à une époque où nul spécialiste n’avait encore écrit de traité, la première synthèse de la technique policière. » (Edmond Locard 1877-1966, Policiers de roman et de laboratoire, 1924).
La figure du détective ; les connaissances et les capacités de Holmes évaluées par Watson : médecine (anatomie), botanique (toxicologie), géologie (les terrains), et une érudition prodigieuse en criminologie et faits divers.
Conan Doyle à propos de la création de Sherlock Holmes : « Gaboriau m’avait séduit par l’élégante façon dont il agençait les pièces de ses intrigues, et le magistral détective de Poe, M. Dupin, avait été depuis mon enfance un de mes héros favoris. Mais pouvais-je leur adjoindre quelque chose de mon propre fonds ? Je songeais à mon ancien maître, Joe Bell, à sa figure d’aigle, à ses allures bizarres, à son don étrange de remarquer certains détails. S’il était détective, il arriverait certainement à faire de cet exercice captivant mais sans but quelque chose de plus semblable à une science exacte… Comment appellerais-je mon personnage ? Je possède encore la feuille d’un carnet de notes portant divers noms entre lesquels j’hésitais.… Je m’arrêtai tout d’abord à Sherringford Holmes, puis à Sherlock Holmes. Il ne pouvait pas raconter ses propres exploits. Il lui fallait donc un camarade banal qui le ferait valoir par contraste ; un nom terne et discret pour un personnage sans éclat : Watson ferait l’affaire. »
La lecture de la pensée : un exercice peu convaincant (Dupin chez Poe) ; l’analyse des objets : Holmes voit Watson la 1ère fois et observe ; ou l’analyse du chapeau trouvé dans l’Escarboucle bleue.
Le détective du roman-problème est un être sans chair, excentrique, célibataire et cérébral. C’est là que le Maigret de Simenon fait figure originale par sa normalité. Il écoute les autres, en s’imprégnant d’une atmosphère, notamment en province.
B. Le criminel et le génie du crime
Le paradoxe du crime parfait, inracontable dans la réalité — et dans la fiction, sauf si le criminel se dénonce ou se raconte (cf l’assassinat de Laetitia Tourreaux au métro Porte Dorée le 16 mai 1937).
Le Professeur Moriarty, le grand rival de Sherlock Holmes
Fantômas, par Pierre Souvestre et Marcel Allain (32 vol. 1911-1913 + 11 vol. 1926-1963 : célébré par les surréalistes et l’avant-garde de l’époque : « Fantômas, c'est l’Énéide des temps modernes » (Blaise Cendrars).
C. La victime
Chez Boileau- Narcejac. Le roman centré sur la victime : elle est prise dans une machination que la dépasse, jusqu’à l’explication finale. De 1948 à leur mort, ils collaborent, mais à distance (entre Paris et Nantes) : correspondance, voire télégramme « Revolver impraticable. Adoptons poison, plus facile ». Dans cette collaboration, c’est Boileau qui imagine les intrigues, Narcejac qui étoffe les caractères et se donne à l’écriture : Boileau, c’est le squelette, Narcejac, c’est la chair.
D. Le justicier
C’est le cas de Nick Carter (1886-1915), d’Arsène Lupin (17 romans, 39 nouvelles de 1905 à 1941, conçu comme un anti-Holmes (cf A.L. contre Herlock Sholmès), un frégoli aux déguisements innombrables et aux multiples identités, plein d’audace et de panache comme Cyrano de Bergerac…
IV - TONS ET EXPRESSIONS DU ROMAN POLICIER
A. De la peur au rire
La peur est de toujours ; dans le roman policier, cette peur est exorcisée par la raison et par le jeu. On convertit la peur en une « histoire à faire peur », une « peur pour rire » (cf Mme du Deffand : « Est-ce que je crois aux fantômes ? Non, mais j’en ai peur ! »). Dans le roman d’énigme, la peur est sublimée par le problème, quand d’autres genres jouent ouvertement avec elles : le thriller ; mais à chaque fois la distance de la mise en forme littéraire désamorce la peur ; et aussi le policier humoristique (Charles Exbrayat)
N’oublions pas une autre variante : le roman policier historique, très à la mode à présent : bien des époques, en Chine, au Moyen Âge, au XVIIIe siècle, à l’époque victorienne, voire dans la Grèce antique…
B. Fiction et réalité
Les personnages de fiction les plus célèbres acquièrent une forme de réalité : Sherlock Holmes (inspiré par son professeur de médecine Joseph Bell). On a pu écrire des biographies de Holmes. Combien de fois Watson a-t-il été marié ? Watson est comme un double de Conan Doyle lui-même et Maigret un double de Simenon.
On a ouvert des musées Holmes à Baker Street, à Meiringen (Suisse).
C. Roman policier et cinéma
Ce ferait à soi seul toute une conférence…
Très vite après les frères Lumière, le cinéma a exploité les histoires de crimes : des courses-poursuites entre policiers et voleurs dès le cinéma muet)
L’un des premiers maîtres est Louis Feuillade (1873-1925 : Fantômas et Judex : la naissance du serial.
Des scénarios et des réussites en France dans les années 30 et 40, d’après Simenon, Steeman (Quai des Orfèvres, L’assassin habite au 21), Pierre Véry (Les disparus de Saint-Agil, Goupi Mains Rouges), plusieurs films sont devenus des classiques : Le jour se lève, Quai des brumes (J. Prévert d’après P. Mac Orlan)…
Après la guerre, ce sera surtout le règne du cinéma américain ; et Boileau-Narcejac : Les diaboliques de Clouzot, Vertigo d’Hitchcock ; ou le superbe film policier de nostalgie rétrospective qu’est Chinatown de Roman Polanski. Arrêtons cette énumération.
Adapter un roman problème au cinéma n’est pas facile, avec les explications finales trop didactiques ou des retours en arrière ; au contraire, le roman d’action type roman noir se prête mieux au cinéma : Scarface et les films de gangsters ont précipité le déclin du roman-problème.
Finissons sur le génie d’Alfred Hitchcock, qui est le meilleur exemple : il a mis en images les plus grands auteurs, J. Buchan, Fr. Iles, P. Highsmith, W. Irish, Boileau-Narcejac, mais il en a fait son œuvre propre, captivant le spectateur. Fenêtre sur cour, L’homme qui en savait trop, Psychose, Vertigo (Sueurs froides) qui doit être son chef d’œuvre, mais il l’a tiré d’un roman français, adapté habilement à la sauce américaine : D’entre les morts de Boileau-Narcejac.
Conclusion :
Revenons au roman. Il peut se lire à plusieurs niveaux : ce monde imaginaire a sa réalité, et le roman policier a ses fanatiques. Contre l’avis de ceux qui prétendent qu’on ne lit un roman policier qu’une fois, avant de le jeter, ou de le vendre, les fanatiques relisent les meilleurs romans policiers, et je suis de ceux-là : La lettre volée, les nouvelles de Sh. Holmes, Le meurtre de Roger Ackroyd, les premiers Maigret, Six hommes morts, 120 rue de la Gare, plusieurs Boileau-Narcejac, Piège pour Cendrillon…
Finissons sur une citation de Paul Morand : « Que [le roman policier] fasse montre d’une psychologie fausse ou arbitraire, quelle importance cela a-t-il pourvu qu’il nous ait intrigués, effrayés, et tenus en haleine jusqu’au bout ? Son rôle n’est pas de sonder les ténèbres des âmes, mais d’actionner des marionnettes par un impeccable mouvement d’horlogerie. »
Est-ce là une critique ? ou bien un éloge ?
Bibliographie à propos du roman policier
Dictionnaire des littératures policières sous la direction de Claude Mesplède, Nantes, 2007 (2 volumes)
Jean Tulard, Dictionnaire du roman policier, Fayard, 2005 ;
Boileau-Narcejac, Le roman policier (QSJ n° 1623, 1975) nouv. édition par André Vanoncini, n° 1623, 2003) ;
Francis Lacassin, Mythologie du roman policier, Christian Bourgois, 1993 ;
W.S. Baring-Gould, Moi, Sherlock Holmes, Encrage, 1992 ;
Roland Lacourbe, 99 chambres closes, Encrage, 1991 ;
André-Marc Aymé, Archéologie de la littérature policière, L’Harmattan, 2013 ;
Régis Messac, Le « detective novel » et l’influence de la pensée scientifique, Paris, Champion, 1929 [la 1ère thèse universitaire sur le roman policier] ;
Boileau-Narcejac, Usurpation d’identité, 1980 (nouvelles pastichant tous les grands auteurs) ;
Bayard, Qui a tué Roger Ackroyd ? [et si Hercule Poirot s’était trompé ?] ;
Loïc Ravenel, Les aventures géographiques de Sherlock Holmes, Larousse, 1994 ;
Michel Chlastacz, Trains du mystère. 150 ans de trains et de polars, L’Harmattan, 2009 ;