Une des plaies de l'islam contemporain est son tragique déficit d'historicité. Le passé de l'islam est un problème contemporain, tant il est invoqué pour justifier ou légitimer ceci ou cela dans le cadre des terribles conflits actuels, que ce soit pour dire que l'islam doit être forcément djihadiste ou qu'il est fondamentalement pacifique. Chacun, sûr de son bon droit, convoque les corpus du passé, Coran ou Tradition dite prophétique, pour appuyer ses dires. Faute d'un recours à une histoire désacralisée, les deux positions s'annulent. C'est comme si, à partir du corpus biblique, on invoquait, de manière contradictoire, le massacre des Madyanites par Moïse (Nombres 31) et, à l'opposé, un psaume pacifique d'amour et de glorification du divin. La différence avec l'islam contemporain tient en ceci que, aussi bien le christianisme que le judaïsme ont fini par produire une histoire critique de leur passé, toujours d'ailleurs en phase d'écriture et de découverte et à laquelle peut se référer qui veut ou qui peut. Ce n'est pas le cas en Islam. Les idéologies virulentes contemporaines bloquent dans la violence quiconque voudrait s'engager dans cette voie. A tout le moins peut-on tenter de se pencher sur la question.
Jacqueline Chabbi, professeur honoraire des Universités - Arabisante spécialiste de l'histoire de l'islam médiéval.
Ouvrages :
Le Seigneur des tribus, l'islam de Mahomet, Noesis, 1997, réed. CNRS, 2010, Poche, CNRS Lexis, 2013
Le Coran décrypté, Figures bibliques en Arabie, Fayard 2008, Poche Cerf, Poche, Lexio, 2014
Les trois piliers de l'islam, lecture anthropologique du Coran, Seuil 2016