L’Europe est confrontée à une crise migratoire sans précédent : 625 000 demandes d’asile en 2014, selon le HCR, un chiffre jamais atteint depuis la signature de la Convention de Genève en 1951 et près de 3000 morts en méditerranée en cette année 2015 avec 1, 2 millions de demandeurs d’asile. A ces drames, s’ajoutent d’autres situations de crise, comme Calais, où les demandeurs d’asile et les candidats à la migration vers le Royaume Uni croupissent dans une « jungle » depuis plusieurs années. Citons aussi les victimes des passeurs, la traversée de la route des Balkans par les Syriens, fin Août. L’Europe est cernée par des conflits qui se traduisent par des flux mixtes (réfugiés et migration de travail) qui frappent à ses portes et la controverse entre « bons » réfugiés et « mauvais » migrants est stérile, car les réfugiés font partie des migrants. L’Europe est la plus grande destination migratoire au monde, devant les Etats-Unis et le Canada, et la méditerranée est l’une des plus grandes lignes de fracture du monde, démographique, économique, politique, culturelle, sociale.
La crise s’inscrit dans la poursuite d’une politique de dissuasion et de fermeture qui s’est soldée par quelques 30 000 morts en méditerranée depuis 2000, 40 000 depuis 1990, avec un coût du contrôle qui s’élevait à 1, 6 milliards d’euros en 2014 et 11, 6 milliards pour le renvoi des illégaux. Le Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés (HCR) estime en 2016 à 65,3 millions le nombre de réfugiés, demandeurs d’asile, réfugiés statutaires ou déplacés internes dans leur propre pays en guerre. Les plus nombreux, les Syriens (5 millions se trouvent à l’étranger), sont suivis par les Irakiens. D’après le HCR, près de 200 000 personnes ont traversé la méditerranée vers l’Europe en 2015 contre 75 000 en 2014 pour la même période. C’est la Turquie (3 millions), le Liban (1,2 million) et la Jordanie (600 000) qui ont accueilli l’essentiel des Syriens.
D’après Frontex (agence européenne de contrôle des frontières extérieures de l’Europe), 283 000 entrées illégales ont eu lieu en Europe en 2014, dont 220 000 par la mer, 103 000 durant le premier semestre 2015, dont 54 000 en Italie, 48 000 en Grèce, 920 en Espagne et 91 à Malte. C’est l’Italie qui a longtemps été au centre des arrivées, du fait de la proximité de l’île de Lampedusa avec les côtes d’Afrique. C’est pourquoi elle a mis en place, face au défaut de solidarité des pays européens, l’opération mare Nostrum entre novembre 2013 et novembre 2014, faisant plus de sauvetages en mer que Frontex, En 2014, 171 000 migrants ont gagné l’Italie par la mer. La plupart sont des migrants économiques venus de la corne de l’Afrique (Erythrée, Somalie), du Soudan, du Niger et sont passés par la Libye, devenue un pays passoire, où Daesh contrôlerait le trafic.
Mais l’essentiel des trafiquants du passage se dirige vers l’est de la méditerranée, en Turquie et en Egypte. C’est aujourd’hui la Grèce qui, selon le HCR, est devenue le « point chaud » de l’Europe. Elle voit arriver de nombreux demandeurs d’asile par ses îles situées le long de la frontière turque (Lesbos où 1 600 personnes sont arrivées le 5 Juillet 2015 ou, côté sud par la région de Mersin) et par la frontière terrestre entre la Grèce et la Turquie, en Thrace. Elle a mis en place un mur qui ne permet pas le passage de la rivière Evros qui sépare les deux Etats. Le pays ne dispose pas de la capacité de gérer toutes ces entrées, 85% des entrants sont des demandeurs d’asile venus de Syrie, d’Afghanistan, d’Irak.
Côté bulgare, la frontière est fermée, tandis que la Hongrie a construit un nouveau mur au sud pour se protéger des arrivées de Turquie par la Serbie. Le mur a suscité beaucoup d’animosité en
Macédoine et en Serbie, qui cherchent à rediriger les flux vers la Croatie et la Slovénie, membres de l’Union européenne. Au sein de l’Union européenne, la solidarité fait cruellement défaut : la France et l’Italie ont ainsi été incapables de gérer les 400 Africains arrivés à Vintimille par l’Italie fin juin 2015 quand la frontière a été fermée par la France. L’une et l’autre ont vigoureusement combattu, en mai 2015, la proposition de la Commission européenne d’accepter des quotas de demandeurs d’asile, considérant qu’elles préféraient garder leur pouvoir discrétionnaire d’appréciation des profils. Les Etats du sud de l’Europe attendent une renégociation des accords de Dublin et déplore la crise de solidarité entre pays européens. A une situation exceptionnelle, on pourrait s’attendre à une réponse exceptionnelle de l’Europe, qui fait défaut.
La stratégie de dissuasion consistant à mal accueillir les nouveaux venus ne fonctionne pas. Ces derniers savent les dangers qu’ils encourent et sont prêts à les courir car ils considèrent qu’ils n’ont pas d’alternative dans leur pays, ou qu’ils se perçoivent sans perspective d’avenir. La perméabilité des frontières, combattue par la politique de fermeture des frontières externes de l’Europe, perdure : malgré les contrôles accrus, les murs construits et le déploiement policier mis en œuvre, 1 000 personnes passent la frontière grecque chaque jour, selon le HCR, une centaine de migrants traversent la Manche depuis Calais et Sangatte vers le Royaume Uni, selon les associations locales. L’objectif, défendu par certains, de faire la guerre aux migrants, de fermer les frontières nationales et l’approche militarisée consistant à détruire les embarcations des passeurs et à éliminer les trafiquants du passage clandestin manque également de faisabilité.
La plupart des pays européens sont empreints, depuis près de 25 ans d’une frilosité extrême par rapport aux migrations : l’extrême droite progresse dans beaucoup d’entre eux et les politiques migratoires nationales sont plus souvent des politiques d’opinion, soucieuses de répondre avant tout aux sondages et à la peur dans un contexte de chômage. La déclaration d’Angela Merkel de la fin Août sur la part que l’Allemagne est prête à assumer dans l’accueil des réfugiés semble renouer avec les valeurs fondamentales de l’Europe et de l’Allemagne fédérale depuis sa création. Lentement, quelques autres pays européens semblent emboîter son pas, mais timidement, car l’immigration a été si longtemps amalgamée avec l’insécurité et le terrorisme que c’est un virage à 180° qu’il faut opérer. Les associations se sont déployées, pour se substituer parfois aux pouvoirs publics, avant qu’un grand élan de solidarité se dessine en Europe, ce qui répondrait à la crise de ses valeurs et à la peur de l’Autre dans laquelle elle s’est installée.