Julien Benda ou la raison radicale

Une conférence de Bernard Desroches, le jeudi 7 novembre à la librairie Prétexte, à 16h30.

JULIEN BENDA ou la raison radicale

 

Présentation générale de l’œuvre de BENDA

 

Julien BENDA est une figure particulière du monde de l’esprit et il est bon de la connaître.

BENDA fut très grand penseur de l’entre-deux-guerres, un homme érudit, d’une culture impressionnante, hélas méconnu aujourd’hui. Un de ces savants qui considèrent que la philosophie est une science dont l’outil est la raison, et rien d’autre, ce pourquoi j’ai choisi le sous-titre « ou la raison radicale » pour la présentation de son œuvre. Autrement dit : un épistémologue, un homme qui pense scientifiquement les résultats que nous fournissent les sciences et enrichit le savoir humain de ses pensées et de ses critiques.

Pour le présenter, je m’appuierai sur l’introduction à la deuxième réédition de son livre le plus célèbre « La Trahison des Clercs », qui en a été faite par André LWOFF, Prix Nobel de Médecine, en 1966, le livre lui-même datant de 1926. On verra à quel point l’ouvrage, polémique, était pertinent : BENDA n’en ayant pas changé une virgule lors des éditions ultérieures, sauf à affirmer sa thèse davantage encore. Sa thèse : à savoir que les hommes dont la fonction est de défendre les valeurs éternelles et désintéressées ont trahi cette fonction au profit d’intérêts pratiques.

BENDA fut un des principaux opposants à Charles MAURRAS et aux maurrassiens, ainsi qu’à BARRES et l’un des plus ardents défenseurs de la démocratie au plan politique.

Opposant à NIETZSCHE au plan philosophique, mais aussi à BERGSON et à son « mobilisme » (« La pensée et le mouvant » « L’évolution créatrice », tout est mouvement pour BERGSON)

On peut même dire que BENDA est un anti-Bergson, ce qui ne laisse pas d’être à contretemps de son temps, tant comme on sait la réputation de BERGSON était grande dans toute la première partie du XXème siècle. 

BENDA est un homme étonnant. Défenseur de la démocratie contre MAURRAS, il fait un bref passage au Parti Communiste – sans cesser de critiquer MARX – et il a donc pu à l’époque incarner la gauche au plan politique. De l’autre côté, ses charges et ses satires contre les littérateurs le font aussi  incarner la droite littéraire la plus conservatrice et la plus réactionnaire.

BENDA n’est pas seulement un anti-MAURRAS, un anti-BARRES et un anti- BERGSON, c’est aussi un anti-GIDE, un anti-ALAIN, et un anti-VALERY et un anti-SARTRE!

Il ira même jusqu’à renier, en 1948, sa complicité et son amitié avec le grand Jean PAULHAN, grâce auquel il avait pourtant intégré la Nouvelle Revue Française, pour un différend sur le traitement des artistes au moment de l’épuration : PAULHAN veut le pardon, arguant de l’erreur (de BRASILLACH, de DRIEU), BENDA veut leur punition.

BENDA n’est pas un rigolo, pas du tout. Même lorsqu’il s’applique à la satire, il reste d’un sérieux à toute épreuve.  

Quoique la pensée de BENDA soit dans ses traits principaux, aisée à résumer, et se présente très simplement, parfois exactement dans les mêmes termes, dans diverses parties de son œuvre, la pénétration de son esprit implique des nuancements qu’il est difficile de transmettre dans une exposition d’une grosse heure.

Son œuvre est certes qualitativement très importante, mais sur le plan quantitatif elle est considérable, pas moins de 43 livres et articles entre 1900 et 1952 : (passum) 

Je n’ai pas (pas encore) lu entièrement cette œuvre impressionnante, et je prie donc mon auditoire de bien vouloir s’y reporter s’il souhaite se faire une idée plus précise que celle que je lui pourrai donner. D’autant qu’un petit livre comme les « Lettres à Mélisande pour son éducation philosophique » (1925) se lit sans effort, et que « le Dialogue d’Eleuthère » (1911) a le côté plaisant et dialectique du dialogue platonicien : les idées sont portées par des personnages qui en débattent et en ressortent d’autant mieux par les contrastes.

Deux auteurs contemporains ont défendu BENDA : ETIEMBLE, dès l’origine, et qui écrit l’avant-propos à l’édition de 1966 de « La Trahison des Clercs »,  et Pascal ENGEL, philosophe français contemporain, professeur ordinaire à l’Université de Genève, qui a écrit « Les lois de l’esprit – Julien BENDA ou la raison » paru en 2012 aux éditions Ithaque.

Pascal ENGEL dans sa conclusion qualifie BENDA d’ « artiste de la raison ». La pensée de BENDA en effet le situe, par sa rigueur, sa constance et sa hauteur de vue, au niveau des plus grands. André LWOFF pense à SOCRATE, PLATON, MONTAIGNE, à SPINOZA, à DESCARTES ou à KANT. C’est uniquement, dit-il, « à un traitement odieux de la part de ses milliers d’ennemis dans la gent de lettres, de plume, de radio, de salons, qu’il avait éreintés et traités de traîtres à leur condition » (de « clercs », donc), que l’on doit de si peu le connaître aujourd’hui. « Quelle idée de s’en prendre aux gens de lettres, engeance entre toutes rancunière et vaniteuse ! » écrit ETIEMBLE.

BENDA mourut très âgé en 1956 sans avoir connu beaucoup mieux que la haine et le sarcasme, et sans même avoir connu un lectorat digne de sa pensée et c’est une des raisons, lui rendre justice, le faire connaître, qui me conduisent à vous le présenter aujourd’hui, autrement que sous le jour de petit homme étriqué, rageur et fanatique sous lequel on l’a calomnié.

 

Mon exposition comprendra 4  parties :

 

1. Qu’est-ce donc qu’être un « clerc » pour BENDA ? et que sont les valeurs cléricales ?

2. BENDA, la politique, la France et l’Europe

3. BENDA et la littérature

4. La pensée selon BENDA

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