Visite du Château Saint André à Le Poët-Célard

Le Château Saint-André

(Commune de Poët-Célard)

Pour la plus large part, Saint-André a été édifié par Raymond de Blaïn et son fils Louis. Aussi est-il important de situer ces deux personnages dans leur contexte historique.

1 . Le contexte historique

1.1. Les guerres de religion

Les huit guerres de religion se sont déroulées entre 1562 (massacre des protestants à WASSY le 1er mars) et 1598 (Edit de NANTES).

Les premiers troubles religieux sont apparus sous François 1er, puis se sont considérablement développés sous Henri II. Au décès de ce dernier, en 1559, c’est un adolescent maladif, âgé de 15 ans, François II, qui monte sur le trône. Il décède un an plus tard. Charles IX n’a alors que 10 ans. Catherine de Médicis occupe la régence. En 1561, le quart de la population française est huguenot.

Les guerres de religion se situent ainsi dans un contexte d’affaiblissement du pouvoir royal et, corrélativement, d’indépendance des grands seigneurs. Les grands clans nobiliaires en profitent pour augmenter leurs clientèles en s’opposant : les Montmorency (et Châtillon), les Guise (et Lorraine/Mayenne), les Bourbon (et Condé).

En Dauphiné, les chefs militaires du parti protestant ont été successivement :

. Le Baron des Adrets (1562-1563),

. Dupuy-Montbrun (1563-1575),

. Lesdiguières (1575-1589).

1.2. L’implantation de la Réforme dans la Drôme

Voici quelques repères :

1522 : Guillaume Farel prêche les doctrines luthériennes à Die.

1540-1560 : Jean Calvin apporte un second souffle à la Réforme (une tradition orale veut qu’il ait séjourné à Saint-André en septembre 1561, mais elle est contredite par la connaissance que l’on a de sa vie et, de plus, son état de santé à cette date, deux ans avant sa mort, s’opposait à un déplacement de cette importance).

1552 : la Réforme est prêchée à Bourdeaux. 1561 : une église protestante (consistoire et pasteur) est organisée à Bourdeaux.

A partir de 1559, le duc François de Guise, gouverneur du Dauphiné, réprime les protestants à Valence, Die, Romans. Ses lieutenants-généraux sont Maugiron et La Motte-Gondrin.

2 . Raymond et Louis de Blaïn

8 janvier 1562 : conversion de Raymond de Blaïn au protestantisme.

A partir de 1562, Raymond de Blaïn commande l’un de 7 régiments levés par Jacques de Crussol (lieutenant du prince de Condé). En 1568, il subit les revers de Jarnac et Moncontour, en Saintonge. Il semble avoir cessé toute activité militaire en 1570.

A partir de 1575, Louis de Blaïn (dit « du Poët ») apparaît parmi les chefs militaires du parti protestant et prend part aux cinq dernières guerres de religion sous les ordres de Lesdiguières.

20 août 1585 : il s’empare de Die et chasse le gouverneur.

11 septembre 1585 : il est aux côtés de Lesdiguières lors de la prise de Montélimar (l’expédition a été préparée à Saint-André ; Mary de Vesc, seigneur de Comps, qui y a pris part, est tué ; 1.000 à 2.500 catholiques, selon les sources, sont massacrés dans les jours qui suivent).

Nommé gouverneur de Montélimar par Lesdiguières, du Poët accable la ville de charges et de contributions en nature ou en argent, consent des prêts à des taux usuraires, vend sa protection aux communes voisines et s’enrichit considérablement. Déjà héritier de Poët-Célard et de Mornans, il achète Saou et La Bâtie-Rolland. Il a un hôtel particulier à Crest.

9 avril 1598 : Louis de Blaïn et le seigneur de Gouvernet (sénéchal du Valentinois et du Diois, également lieutenant de Lesdiguières) se livrent un duel à Crest. Blessé, du Poët décède deux jours après. N’ayant pas de descendant direct, il a institué son neveu, Louis de Marcel, comme héritier (testament du 21 mars 1598).

3 . Les étapes de l’édification de Saint-André

Pour mémoire, le vieux château (dans le village de Poët-Célard) est cité en 1278, dans un acte de vente par la fille de Béranger de Bourdeaux à Aymar de Poitiers, comte de Valentinois.

En 1464, Charles de Blaïn achète la seigneurie de Poët-Célard à la famille des Poitiers.

Le vieux château sera conservé par la famille Blaïn jusqu’en 1830, mais, dès 1750, les Blaïn le délaissent pour s’établir à Saint-André.

On ignore l’origine du nom. Il est probablement lié au terroir.

L’existence de constructions à Saint-André est attestée dès 1327 (dans une donation par Amédée de Poitiers au seigneur de Poët-Célard).

3 .1. La maison forte La maison forte d’origine, probablement édifiée au XIVème siècle, correspond à la partie Nord de l’aile Ouest actuelle. Elle comportait un mur d’enceinte dont il subsiste au moins deux tours.

3 .2. Le château de Raymond de Blaïn

Cette partie a été édifiée entre 1541 et 1561. Elle comprenait, outre la maison forte d’origine, les corps de bâtiments et bâtiments édifiés par Raymond de Blaïn :

. le prolongement de l’aile Ouest jusqu’à la première tour d’angle,

. l’aile Sud,

. les écuries (au Nord),

. et le colombier. Ces bâtiments, à usage d’habitation et d’exploitation agricole, constituaient la demeure d’un gentilhomme campagnard. Le domaine s’étendait sur 40 hectares environ (vignes et céréales).

3 .3 . Le château de Louis de Blaïn

Louis de Blaïn fit édifier (probablement à partir de 1585) les ailes Est et Nord, en sorte que le château forma alors un quadrilatère autour d’une cour intérieure :

. cour de 11m x 14m,

. au rez-de-chaussée : cuisines, offices, locaux de service,

. au premier étage : appartements du seigneur, galerie (côté Est) et salles d’apparat,

. combles habitables (personnel de service, gardes, …).

Avec les travaux de Louis de Blaïn, Saint-André devient une véritable résidence d’agrément.

4 . Description architecturale

4 .1. Les écuries (au Nord du château)

4 .2. Le colombier ( à l’Est)

L’intérêt d’un colombier était la fiente produite par les pigeons (colombine), qui a été utilisée comme engrais (azote et acide phosphorique) jusqu’au XIXème siècle. Elle pouvait aussi servir de salpêtre pour la poudre à fusil.

Seuls les nobles ayant un fief avec droit de haute et basse justice pouvaient édifier un colombier de plain-pied (privilège supprimé à la Révolution). La taille du pigeonnier témoignait de la puissance du seigneur et était un signe de richesse. Elle devait rester en rapport avec la superficie du domine.

Le colombier de Saint-André a environ 1.500 boulins (en terre cuite) et une potence. Son toit est dit « en bonnet de Calvin » (carré, une pente).

4 .3 . Les élévations

Le château est entièrement construit en moellons, la pierre de taille n’étant utilisée que pour les chaînages d’angles et les encadrements de portes ou de baies.

Les pierres sont de la molasse (sorte de grès), de couleurs variées (verdâtres, rougeâtres). En l’absence de carrières ( ? ), elles provenaient de l’épierrement des champs.

4 . 3 .1 . Façade Est (façade principale) :

. Portail (seule ouverture à l’origine). De chaque côté, pierres en bossages (surtout élément décoratif). . Pont-levis : treuil et poulie derrière la bretèche (mécanisme intérieur masqué lors des travaux du XVIIIème siècle). Il n’y avait pas de véritables douves, mais seulement un « saut-de-loup » ( 3 mètres de large) autour du portail.

.Blason sculpté (au-dessus du portail), mais martelé (à la Révolution ?). Armes de la famille de Blaïn : « De gueules à trois bandes d’or, celle du milieu chargé de trois molettes de sables ».

. Bretèche (rôle défensif : assommoir en façade, embrasures pour armes à feu sur les côtés). Partie inférieure peinte (peu visible). Dans la partie supérieure, « tempietto » avec le buste d’un personnage non identifié (l’architecte du château ?).

. Fenêtres : 4 croisées à 2 croisillons (dont une jumelée, sur la grande salle).

4 . 3 .2 . Façade Ouest :

Moins élevée que les autres, puisque le château est enterré sur un niveau. Presque aveugle.

4 . 3 . 3 . Façade Nord : on notera le chaînage d’angle délimitant l’ancienne maison forte et le grand arc de pierre (destiné au passage des grandes poutres, lors de la contruction ?).

4 . 3 . 4 . Façade Sud : elle a été entièrement remaniée au XVIIIème siècle : suppression des croisées, percement de fenêtres (linteau cintré) et de portes, construction d’un large perron, génoise à triple rang (à noter, aussi, qu’à l’intérieur, les plafonds ont été abaissés au premier étage pour permettre d’aménager de véritables chambres dans les combles du second).

4 . 3 . 5 . Façades sur cour :

A l’est, 4 arcades en arc plein-cintre datées de 1744.

A l’Ouest, deux portes monumentales (donnant accès à l’escalier droit et à l’escalier rampe sur rampe). Ressemblance avec celles de certains hôtels particuliers à Crest et celle du château de Plaisance.

4 . 3 . 6 . Les 3 tours d’angle :

Diamètre différent de l’une à l’autre. Faible épaisseur des murs (1 mètre). Toiture conique (cf. château d’Eurre à Saou et château de La Charce). Moulures. Meurtrières pour armes à feu de petit calibre. Chemin de ronde sous toiture.

Rôle esthétique, défensif et social.

4 . 4 .La distribution intérieure

4 . 4 . 1 .Le portique (1744 indiqué au dessus de la deuxième arcade). Promenoir. Passage protégé.

4 . 4 . 2 . Ancienne cuisine (aile Nord) : 8 mètres sur 8. Plafond à la française. En dehors des jours de fête ou de réception, Louis de Blaïn et sa famille y prenaient leurs repas (« salle basse »). Cheminée monumentale droite adossée au mur Nord.

4 . 4 . 3 . Escalier rampe sur rampe (cf. Château de La Charce et Hôtel de ville de Chatillon-en-Diois).

L’escalier « rampe sur rampe » est originaire d’Italie. Il est apparu en France vers 1510 et a dominé jusque vers 1610. Celui de Saint-André date de 1590 environ.

Les marches sont en un seul bloc de pierre, avec des revers apparents, partiellement délardés.

Les plafonds des deux premières volées sont peints. C’est un emplacement de prestige.

4 . 4 . 4 . Les appartements (au Sud). Ils ont subi d’importantes modifications au XVIIIème siècle (cf. ci-dessus). Ils comprenaient une salle (54 m2), deux chambres (chacune donnant accès à une petite pièce dans une tour). La chambre dans l’angle Sud-Est communiquait avec la galerie.

4 . 4 . 5 . La galerie (le long de la façade Est). 13 mètres de long sur 4 de large. 2 croisées à 2 croisillons donnent sur la campagne (Pays de Bourdeaux, Couspeau), 2 demi-croisées donnent sur la cour. Reliait les appartements au Sud avec la grande salle au Nord. Promenoir.

4 . 4 . 6 . Escalier Nord : grand escalier droit (« d’honneur ») prenant sur le couloir qui donnait accès aux pièces de service au Sud. Décor peint (seulement des traces).

4 . 4 . 7 . La grande salle :

Mesure 115 m2 ( 13,5 x 8,5). 5 mètres de haut. Croisées à double croisillon (3,2m sur 2m).

Trois portes (grand escalier droit, salle de réception et galerie).

Plafond « à la française » (grosses poutres et solives).

Sol en terres cuites monochromes (rose), sauf les dalles de pierre près de la cheminée.

Cheminée droite (H 4,90 ; L 3,72 ; P 1,12), construite selon les normes préconisées par Sebastiano Serlio (architecte et théoricien italien). Date de 1585/1590 (cf. hôtel particulier du seigneur de Tourrettes à Grignan).

Cabinet, dans la tour Nord-Est : pas un oratoire, mais un lieu de travail et de lecture (bibliothèque).

4 . 4 . 8 . La salle de réception : plafond « à la française » peint (mais très endommagé par les infiltrations et l’humidité).

Salle contiguë : quelle fonction ? Antichambre ?

4 . 4 . 9 . La chambre haute. Accessible depuis le troisième palier de l’escalier rampe sur rampe. Dimensions 9m x 5m. Ce n’est pas un véritable donjon défensif, mais une « chambre de retrait » pour le seigneur, ou une chambre de guet.

5 . Peintures

Influence des peintres italiens (attirés en France par François 1er, à partir de 1540).

A Saint-André, les peintures n’ont pas subi de dégradations volontaires (notamment sous la Révolution) ni de restaurations abusives, mais elles n’ont pas été entretenues et ont été

recouvertes par un badigeon. Certaines ont été recouvertes par un nouveau décor au XVIIIème siècle (grande salle).

Les peintres ont probablement été des artistes piémontais (la vallée de la Drôme était une voie de communication entre l’Italie et la vallée du Rhône). Du Poët a voyagé en Italie en 1584.

5 . 1 . Le portail

Intrados peints (motifs végétaux). Peintures très détériorées. Bretèche peinte.

5 . 2 . L’escalier droit

Volée : bande orange et frise limitée par un filet rouge. Sur le palier supérieur, idem. Peintures au dessus des portes masquées par un badigeon blanc. Médaillon ovale entouré de rinceaux au dessus de la fenêtre.

5 . 3 . L’escalier rampe sur rampe

Sur les volées, compartiments représentant des soldats se déplaçant ou combattant à pied ou à cheval. Sur le plafond du repos, médaillon central représentant deux cavaliers casqués qui combattent (fureur, acharnement). Au centre du premier palier, médaillon rectangulaire entouré de fleurs et de feuilles stylisées.

5 . 4 . La salle de réception

Sur la partie supérieure des murs, frise peinte (1 mètre de large) : guirlande végétale parsemée de fruits (cf. les pilastres des Loges du Vatican peints par Raphaël).

Les faces verticales des poutres sont ornées de 24 médaillons ovales ou rectangulaires présentant des petites scènes (fleurs stylisées entre les médaillons). Il s’agit de la transcription d’estampes gravées par Giovanni Giacomo Caraglio (1505-1565) représentant « les Amours des Dieux ». Ainsi : Mars et Vénus, Jupiter transformant la nymphe Io en vache, Vénus et Cupidon, Vertumne et Pomone, Saturne et Phylène, Hercule et Déjanire, Pluton et Proserpine, Hercule luttant contre le chien Cerbère, Apollon et Hyacinthos, Vulcain et Cérès. Eléments de rapprochement : château de Vachères (Montclar-sur-Gervanne), château de Sallmard (Peyrins), salle des gardes du château de Condillac.

Sur la fenêtre Ouest, médaillons entourés de grotesques.

5 . 5 . La grande salle

Deux décors superposés : fin XVIème et XVIIIème. 5 . 5 . 1 . La frise (1 mètre de hauteur)

Personnages masculins et féminins en costumes de fête (style Henri III).

Grotesques très colorées, ponctuées de médaillons (grotesques : figures animales ou humaines, figures hybrides anthropomorphes, petits démons, draperies, guirlandes, fleurs, vases. Cf. la Loggia du Vatican, le Château Saint-Ange à Rome et le Palazzo Vecchio à Florence. L’art grotesque s’est développé au tout début du XVIème siècle, à la suite de la découverte des antiques maisons romaines ensevelies).

5 . 5 . 2 . Les blasons : armoiries des Blaïn entourées d’un tortil.

5 . 5 . 3 . La cheminée

Construite vers 1575 (cf. ancien Doyenné de Grignan). Peinture à l’huile, avec de nombreux « repentirs ».

Piédroits du manteau : décors (très abimés) inspirés de Marcantonio Raimondi (qui, lui-même, s’inspira de Raphaël). Scènes tirées de la mythologie.

Jouées de la hotte : Mars (côté Nord) et Minerve(côté Sud).

Face de la hotte : Peinture de dimensions imposantes (2m x 3, 07m). Peinture à l’huile (nombreuses retouches) avec un vernis protecteur, probablement réalisée vers 1590. Le décor illustre la devise « Impavidum ferient ruinae » tirée du livre III des Odes d’Horace (« les ruines l’atteindront sans l’effrayer »), qui était la devise du Baron des Adrets (François de Beaumont, 1512-1586). Les ruines (avec Diane à gauche et Minerve à droite), qui soulignent la violence et la démesure dans une scène apocalyptique, s’opposent au calme et à la douceur d’un paysage arboré. La scène représente probablement le Baron des Adrets quand il était à la tête des troupes protestantes en Dauphiné ; il reste impassible au milieu des ruines qu’il a provoquées, car il sait que son action est juste.

5 . 5 . 4 . Le cabinet

A l’origine, les quatre murs étaient décorés de grotesques.

Fronton de la cheminée : blason de la famille Blaïn.

Médaillon ovale, au centre d’un décor de grotesques, dont les figures sont symétriques. Il représente une scène de la vie populaire (la tuerie du bœuf) pendant l’hiver.

6 . Restauration

Le château Saint- André est resté entre les mains de la famille Blaïn jusqu’en 1836 (sauf entre 1799 et 1806). La dernière comtesse du Poët, Marie-Josèphe-Antoinette de Blaïn de Marcel, l’a légué à son cousin Titus d’Alissac (testament du 28 septembre 1830), qui, dès 1839, l’a vendu à un habitant de Montjoux, lequel l’a revendu à Casimir Blanc en 1853. Il est resté la propriété de la famille Blanc jusqu’en 2000.

Il a été classé Monument Historique le 10 Novembre 2000 (le château lui-même, le pigeonnier, les écuries, les vestiges du mur d’enceinte, la tour Nord et la fontaine).

Les travaux de remise en état et de restauration, entrepris fin 2002 sous la direction des services des Monuments Historiques, ont, pour l’essentiel, été achevés en 2007 (mais il reste notamment à faire les travaux de restauration des peintures dans la grande salle, ainsi que le sol).

Le château Saint-André réunit le plus vaste ensemble de peintures Renaissance conservé dans la Drôme.

 

 

Les commentaires sont fermés.