L’affaire Dominici, conférence et film

Une journée consacrée à l'affaire Dominici, le 18 novembre avec repas, projection de film et conférence de Pierre Côte à la librairie Prétexte.

L’affaire Dominici

Téléfilm réalisé par Pierre Boutron en 2003

Dans ce téléfilm, Michel Serrault, décédé en 2007, tient le rôle de Gaston Dominici et Michel Blanc celui du Commissaire Edmond Sébeille. Deux acteurs exceptionnels.

Michel Serrault colle parfaitement au personnage de Gaston : patriarche rude, secret, coriace, peu loquace, parfois brutal, mais aussi sensible et émouvant. Serrault est un rural, un homme de la terre. Il incarne Gaston. Il le fait d’autant mieux qu’il a déclaré à « La Dernière Heure » (Belgique), le 10 septembre 2003 : « Je n’ai accepté ce rôle que si je le jouais non coupable … On a tous des défauts. Mais coupable, non ! Ce type, je l’aime ».

Au bout de 3h15, le spectateur, qui suit pas à pas l’enquête, le procès et l’incarcération de Gaston, acquiert la conviction que Gaston n’était pas coupable, mais victime d’une machination des services secrets, machination que le Commissaire Sébeille n’a pas su (ou pas voulu) déceler et que les autorités de l’Etat ont volontairement occultée.

Il convient, cependant, de garder une approche critique de ce film et de prendre de la distance.
Certes, il est annoncé, dans le générique : « D’après l’enquête de William Reymond » (il s’agit de son livre « Dominici non coupable - Les assassins retrouvés », publié en 1997 et réédité en 2003).

Mais cela va bien au-delà :

.  C’est une fiction : des personnages fictifs et des scènes fictives ont été créés,

.  C’est même une escroquerie intellectuelle.

C’est une fiction

Le personnage du journaliste Lukas Fabre est fictif : il est, ce qui n’a rien de choquant, le fil conducteur de la démonstration qu’a tenté de faire William Reymond. Et la petite Brigitte l’accompagne.

Mais, surtout, cet homme, que Lukas Fabre rencontre au cimetière de Forcalquier et avec qui il a un long entretien à l’occasion de la réception donnée par le Garde des Sceaux en l’honneur de Sébeille, cet homme dont l’identité n’est pas révélée et dont on ne sait trop qui il est, mais dont le spectateur comprend qu’il connaissait Jack Drummond « depuis 30 ans », qu’il est anglais (par son accent) et qu’il appartient aux services secrets britanniques, cet homme, qui accrédite la thèse du secret d’Etat, est totalement fictif.

Parmi les scènes qui ne correspondent en rien à la réalité, il faut particulièrement mentionner celle où Sébeille rend visite à Gaston à la prison des Baumettes et où, ayant tenté sans succès de lui faire avouer qu’il a été l’assassin des Drummond, il se jette sur Gaston en le prenant au collet comme s’il voulait l‘étrangler dans un mouvement de haine et de colère. Cette scène est fictive et même peu réaliste. Mieux, elle est diffamatoire vis-à-vis du Commissaire Edmond Sébeille.

Le commissaire Gillard n’a jamais déclaré : « J’ai approché la vérité de près, mais cette vérité, personne n’en veut ». Et ne parlons pas de cette scène où un journaliste (Lukas Fabre) pénètre par effraction dans la chambre d’hôtel du Commissaire Gillard pour fouiller dans ses notes et ses rapports : c’est un manquement délibéré à la déontologie des journalistes, c’est même une infraction pénale !

Il serait fastidieux de relater toutes les scènes où la réalité, celle qui est attestée et vérifiée, relatée dans des documents officiels, est déformée, tronquée, habillée, détournée.

C’est une escroquerie intellectuelle

A bien y regarder, ce plaidoyer en faveur de l’innocence de Gaston est assez maladroit, souvent excessif et bien peu crédible (comme tout ce qui est excessif). Mais, ce qui est grave, c’est qu’il trompe et manipule même le spectateur.

Peu crédible, parce la thèse (qui n’aurait dû rester qu’une hypothèse) de W. Reymond est elle-même peu crédible :

= elle repose sur des supputations, et non des démonstrations : Sir Jack Drummond qui aurait acquis une bonne pratique de la langue française à l’insu de tout son entourage, qui aurait appartenu aux services secrets britanniques et été envoyé en mission dans le cadre de l’opération Paperclip / Matchbox ;

= elle s’appuie sur des témoignages tardifs (40 ans après le triple assassinat) et suspects (témoignages venant principalement  de Gustave et d’Yvette, voire témoignage indirect d’Alain, un bébé au moment du drame). 

Le film, comme la thèse de W. Reymond, n’est pas réaliste. En voici deux illustrations :

Il est acquis, abondamment démontré et non contesté, que l’assassinat a été commis en faisant usage de la carabine américaine Rock-Ola retrouvée dans un bras mort de la Durance. Il s’agit d’une arme ancienne (de celles laissées sur place par les troupes américaines à la suite du débarquement en Provence, le 15 juin 1944). Il s’agit d’une arme en très mauvais état, « rafistolée » (bague et fil de fer). Il s’agit d’une arme « locale », graissée à l’huile d’olive. Comment imaginer qu’un commando venant d’Allemagne et agissant aux ordres du KGB russe, ait utilisé une arme aussi vétuste, obsolète et peu adaptée pour commettre son forfait ? Et comment se la serait-il procurée ? Il faudrait imaginer qu’il ait préalablement fait une expédition dans la région des Basses Alpes pour voler ou acheter cette carabine …

Certains imaginent que cette arme a été choisie pour faire une mise en scène afin d’orienter les recherches judiciaires vers des gens de la région. Ce n’est pas réaliste : des tueurs professionnels, commandités par des services secrets, exécutent leur mission et repartent. Il n’est, pour eux comme pour ceux qui commanditent, d’aucune utilité de falsifier les indices. La même remarque vaut pour la scène où le commando sort (avec délicatesse) quelques cartons et objets de la Hillman pour faire croire aux enquêteurs à un crime crapuleux.

Sir Jack Drummond aurait été attiré dans un guet-apens. On l’aurait alléché par la présence de l’usine de Saint-Auban, à Château-Arnoux. Mais qui « on » ? Il faudrait que ce soit des dirigeants ou des ingénieurs de cette usine, seuls en mesure de lui donner des informations utiles sur les produits fabriqués et les recherches menées dans cette usine. Or, lorsque l’on appartient à des services secrets et que l’on reçoit une telle « invitation », on vérifie évidemment ses sources. Et, nous dit-on, Sir Jack, éminent nutritionniste, aurait été intéressé par cette usine car elle mettait au point des produits pour la conservation des aliments. Or, l’usine de Saint-Auban (créée en 1916 et successivement passée entre les mains de Péchiney, Péchiney Saint-Gobain, Rhône-Poulenc, Elf Atochem, Atofina, et maintenant Arkema) n’a jamais produit que des produits fluorés, des polymères fluorés, du chlorure de chaux, de l’eau de Javel, de l’ammoniac, de l’acide chlorhydrique, du PVC. Où sont les produits destinés à la conservation des aliments ?

 Et que dire de l’agenda de Sir Jack (mentionnant un rendez-vous à Lurs le 4 août) qui, selon Fabre, aurait été retrouvé dans une poubelle à Londres ! Pour quelle raison Sir Jack, qui n’habitait pas Londres, mais Nottingham, serait-il allé à Londres avant son départ en vacances sur la Riviera française pour y jeter son agenda dans une poubelle ? Sans parler de ces extraordinaires limiers de Scotland Yard qui auraient fouillé toutes les poubelles de Grande-Bretagne pour y rechercher un agenda …

Maladroit, comme l’illustre l’exemple suivant :

Lorsque Sébeille convoque Gaston au Palais de justice pour lui dire que ses deux fils l’ont accusé, il lui fait entendre un enregistrement de la voix de Gustave. Cette voix est celle de quelqu’un qui ne parle pas spontanément, mais qui, manifestement, déchiffre avec difficulté un texte écrit. Quelques minutes plus tard, on passe à une scène où Gustave revient à la Grand’Terre et où Yvette lui reproche avec véhémence d’avoir dénoncé son père. Gustave se défausse en lui répondant qu’on lui a fait signer des « papiers » sans le laisser les lire … A trop en faire,  le réalisateur se contredit.

Ce film est une manipulation : chaque scène est délibérément conçue pour montrer ou sous-entendre, de manière tout-à-fait insidieuse :

= Que le commissaire Sébeille a manqué de conscience professionnelle et n’a pas été objectif : d’emblée, il a montré une prévention vis-à-vis des Dominici et s’est crispé dans sa volonté de démontrer leur culpabilité. A peine arrivé sur les lieux, dans l’après-midi du 5 août, il aurait dit « Je les connais, moi, les crimes paysans ». Et, pour être certain que le spectateur en a bien pris note, le réalisateur place de nouveau cette affirmation dans sa bouche, un quart d’heure plus tard ! Il montre son mépris pour ces  « campagnes arriérées ».

[On sait que cela n’est pas conforme aux faits. Sébeille s’est si peu intéressé à la Grand’Terre et aux Dominici au début de son enquête qu’il a ordonné à l’inspecteur Girolami de faire autre chose que de s’occuper du pantalon qui séchait dans la cour de la Grand’Terre et a négligé de s’intéresser aux marques de pas à proximité du corps d’Elizabeth.]

= Qu’il n’existe pas d’argument sérieux pour accuser Gaston Dominici. A deux reprises au moins, alors que Sébeille dit que l’affaire avance, le film fait dire à son adjoint, l’inspecteur Ranchin : « Vous ne trouvez pas qu’on manque un peu de preuves ? »

= Que le commissaire Sébeille est « un très mauvais policier »: le commissaire Gillard le confie à Lukas Fabre !

l’enquête a été menée à charge : Sébeille n’a eu de cesse d’exercer des pressions sur Gustave, Clovis, Maillet, Zézé … et Gaston lui-même, bien sûr. Très tôt, on place cette confidence dans la bouche de Sébeille : « Je suis sûr que c’est le vieux. Je le sens ».

= Que la reconstitution a été bâclée. Gaston est présenté comme un pantin amusé et ironique qui demande où il doit se placer et quels gestes il doit faire et les fait servilement. Même le juge Perriès bâcle cette reconstitution.

Les évènements sont systématiquement dénaturés. Le meilleur exemple en est la scène des aveux spontanés de Gaston au gardien Guérino dans la soirée du 14 septembre 1953 est dénaturée : Sébeille est derrière la porte entr’ouverte de la salle du Palais de justice et dicte à Guérino ce qu’il doit faire dire à Gaston. Ainsi, les aveux n’ont plus rien de spontané. Or, il est établi que Sébeille était allé diner dans un restaurant : il n’était pas là.

Mais ce n’est pas le seul, loin de là.

Ainsi, lorsque Sébeille et ses inspecteurs ont  montré la carabine Rock-Ola à Clovis. Selon Sébeille, il  est resté interloqué, plein d’effroi : «Il se mit à genoux en roulant de grands yeux et en se mordillant les lèvres ». Dans le film, Clovis, très calme, s’accroupit pour examiner attentivement l’arme. Il explique qu’il s’est accroupi par habitude, étant poseur de rails. 

Ces observations critiques, très incomplètes, ne retirent rien à la qualité du jeu des acteurs, spécialement Michel Serrault : peut-être n’est-on pas convaincu, après avoir vu ce film, que Gaston Dominici est innocent, mais on voudrait tellement qu’il le soit.

Pierre Côte, 19 novembre 2013

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